Le jour où j’ai failli tout perdre. 2020.
Une année charnière, pleine de décisions lourdes de conséquences.
C’est l’année où Christian a trouvé son nouveau promoteur… et celle où, moi, j’ai eu l’impression de marcher au bord du vide.
À ce moment-là, Christian venait de rompre les liens avec son ancien promoteur, d’un commun accord. Le futur s’ouvrait devant lui. Marc lui avait mis plusieurs options sur la table: «Analyse-les, prends le temps. Et si tu trouves mieux, on en discutera.» Une phrase simple, mais lourde de liberté. Des cartes étalées sur la table. Mais dans le regard de Christian, je voyais encore briller un rêve américain : les grands combats, les chiffres vertigineux, Las Vegas en toile de fond.
Moi, je lui répétais inlassablement qu’Eye of the Tiger et Camille Estephan étaient la voie à suivre. Puis, après des semaines de silence, le coup de fil est arrivé: «Sam, peux-tu m’organiser un meeting avec Camille?»
Photo: Camille Estephan – avec Christian Mbilli
Le lendemain, la rencontre était fixée : le 40 West, Montréal. Lumières tamisées, nappes blanches, banquette de cuire rouge et un ballet discret de serveurs. Camille est déjà prêt, précis comme un joueur d’échecs qui connaît la partie par cœur. Il a les chiffres, les données, le plan. Mais au-delà des statistiques, il fallait sentir si la chimie allait opérer. Et elle a opéré. Tout de suite. Le ton était posé, la discussion fluide, comme si les deux se connaissaient depuis longtemps.
Camille a présenté son offre. Christian a écouté attentivement, puis a dit qu’il en parlerait avec Marc. Rien n’était encore décidé, mais j’ai senti qu’un pas important venait d’être franchi.
Emballé par le rendez-vous, j’ai filé raconter le tout à Marc. Et j’ai vite compris que j’avais fait une erreur: j’aurais dû le prévenir avant. Son regard, son ton… je me suis senti sur un fil, les pieds dans le vide. Pendant quelques minutes, j’ai cru que je venais de tout gâcher. Heureusement pour moi, nous avions trop de travail pour rester en froid, l’urgence du quotidien a pris le dessus, et la tension est retombée. Aujourd’hui, on en rit, mais sur le moment, je voyais mon avenir s’effondrer, j’avais le cœur dans la gorge.
Photo: Vincent Ethier – Luc-Vincent Ouellet, Marc Ramsay, Christian Mbilli, Camille Estephan, Shawn Collinson, Samuel Décarie-Drolet et Antonin Décarie
Avec le recul, je garde surtout de la gratitude. Celle de Camille, qui m’a souvent rappelé qu’il appréciait que je lui aie présenté Christian. Et la mienne, immense, envers lui, d’avoir ouvert cette porte qui allait changer le destin de Christian… et le mien par le fait même.
Jour de combat!
Retour au présent.
C’est le jour J.
Las Vegas. La journée d’un combat, le temps prend une autre texture : chaque minute semble plus longue, chaque geste doit être calculé, mais en un seul clignement de paupières, nous serons rendus au combat.
Photo: Zuffa Boxing – Christian Mbilli
Chacun vit sa routine. Christian, réglé au millimètre: réveil, activation, repas, repos, sac, sieste, collation. Marc, concentré dans son rôle, peu bavard. Moi, j’ai besoin de courir. C’est mon exutoire.
Ce jour-là, je dois remettre des billets et un track suit à Félix Trudel, notre médecin d’équipe. Il loge au MGM, à 5,5 kilomètres. Un aller-retour parfait. Alors je pars. L’air chaud du désert colle à la peau, j’aime entendre le bruit mes pas raisonner à chaque foulée. Chaque course me permet de vider un peu de tension, d’éclaircir mes pensées. Mais dans ma tête, le combat défile sans arrêt. Je le visualise encore et encore, comme si je pouvais en répéter le scénario à l’infini.
De retour à l’hôtel, c’est l’heure du sac. Même s’il est prêt depuis Montréal, je le vide entièrement. Bandages, ciseaux, gants, flacons… tout est vérifié, replacé. Ce rituel me rassure. Ensuite, je prends fil et aiguille pour coudre les patches sur les shorts de Christian. Des gestes simples, précis, qui m’apaisent.
Photo: Las Vegas Raiders – Allegiant Stadium
J’essaie de m’allonger pour une sieste. Souvent, c’est peine perdue. Le corps voudrait, mais la tête refuse. Alors je grignote un peu, puis je me prépare à partir. L’Allegiant Stadium nous attend.
Dans quelques heures, les projecteurs s’allumeront. Christian montera sur le ring, et toute cette préparation silencieuse prendra son sens.
Demain, je vous raconterai les vestiaires, le combat, et ce moment unique où l’on se retrouve après. Mais ce soir, je m’arrête. Parce que, là, il n’y a plus de place que pour une seule idée fixe: gagner.
Photo: Samuel Décarie-Drolet – «Tous derrière Solide!»