Pendant quelques années, j’ai travaillé comme matchmaker en boxe professionnelle. C’est un métier de l’ombre, peu connu du grand public, mais pourtant essentiel au bon déroulement de chaque événement de boxe.
C’est aussi une école de la vie. Une expérience qui m’a transformé, m’a fait grandir, m’a donné des cheveux blancs… et une compréhension beaucoup plus claire de l’industrie.
Être matchmaker, c’est être au cœur de l’action sans jamais monter sur le ring. C’est comprendre les dessous du sport, les vraies bourses que touchent les boxeurs (souvent bien loin des millions qu’on imagine), les montants que prennent les agents, les promoteurs, les matchmakers eux-mêmes. C’est découvrir un monde fascinant… mais pas toujours «propre propre». J’ai eu la chance de rencontrer des gens incroyables, passionnés, rigoureux, honnêtes. Mais j’ai aussi croisé des ordures. Des gens qui profitent du système, qui cherchent à s’enrichir sur le dos d’athlètes qui, eux, donnent leur corps et leur âme pour ce sport.
J’ai collaboré avec plusieurs promotions, avec des dizaines de matchmakers et toutes sortes de commissions athlétiques. Certaines commissions sont rigides comme du fer, appliquant les règles à la lettre.
Photo: Vincent Ethier – Aguirre et Santana
D’autres, disons-le franchement, n’ont pratiquement aucune réglementation. Résultat? Il n’est pas rare de voir des équipes acheter un spot sur une carte pour aller chercher une victoire facile. Pour remonter une fiche. Pour redevenir «attrayant» aux yeux des promoteurs. Et on ne va pas se mentir: les grosses bourses dont tout le monde parle en boxe, celles à six ou sept chiffres… c’est moins de 1% des boxeurs y ont accès un jour.
Quand je faisais du matchmaking, j’avais un souci constant: offrir des combats utiles, formatifs, équilibrés. Pas toujours 50/50, bien sûr, il faut être stratégique, mais toujours avec l’idée que le boxeur apprenne quelque chose. Car on va se le dire, un boxeur qui met son adversaire KO au premier round n’a pas appris grand-chose. Je voulais donc qu’ils voient différents styles pour se préparer aux grands rendez-vous. Un boxeur longiligne qui boxe à distance. Un petit tank qui met de la pression. Un gaucher. Un cogneur. Un contre-attaquant. Chaque combat devait être une étape vers le sommet, une progression dans les classements, un apprentissage.
Trouver un adversaire
Il y a principalement deux façons de procéder.
La première: envoyer une fiche technique du combat à plusieurs autres matchmakers. On y indique l’emplacement, la date, le nom du boxeur, le poids, le nombre de rounds, s’il y a un titre ou non, etc. On reçoit des propositions, on en sélectionne quelques-unes, puis on consulte l’équipe pour faire un choix.
La deuxième façon, plus ciblée: on contacte directement les camps qui répondent à nos critères. C’est souvent plus rapide, mais ça demande un bon réseau et une connaissance fine des boxeurs disponibles dans le monde.
Le vrai travail commence après… et les maux de tête aussi!
Photo: Vincent Ethier – Mbilli et Gongora
Une fois l’adversaire trouvé et un accord verbal obtenus, il faut tout officialiser. Et c’est là que la paperasse commence.
On parle ici de:
-photo de passeport valide
-visa et lettre de voyage
-déclaration d’absence de casier judiciaire
-tests médicaux à jour, signés et estampillés par une clinique
-autorisation de combattre de la commission athlétique locale
-contrat signé avec les termes précis tels: bourse, billets d’avion, chambres d’hôtel, allocations pour les repas, etc.
-Et parfois même: marque des gants, taille du ring, grandeur du vestiaire, etc. Pour les combats plus importants.
Tous ces documents doivent être transmis à la commission athlétique du lieu de l’événement, à l’équipe de coordination (transport, hébergement, logistique)… et ensuite, on croise les doigts.
Parce que même avec toute la préparation du monde, un combat peut tomber à l’eau. Blessure, maladie, visa en retard, vol manqué… tout peut arriver. Et c’est pour ça que tout bon matchmaker planifie un plan A, un plan B, parfois même un plan C.
Un métier de passion… et de patience
Je vous jure, faire du matchmaking est un travail ultra exigeant. Stressant. Intense. Mais c’est aussi un métier de passion. J’ai énormément appris. J’ai grandi. J’ai compris les vraies dynamiques de la boxe professionnelle. Et malgré tout, je reste animé par la même envie: faire les choses proprement. Offrir aux boxeurs les meilleures opportunités pour progresser, performer… et rêver.
Photo: Vincent Ethier – Jordan Mathieu (matchmaker d’EOTTM), Antonin Décarie, Erik Israyelyan, Camille Estephan, Samuel Décarie-Drolet et Shawn Collinson
Si un jour vous croisez un matchmaker, dites-vous qu’il y a de fortes chances qu’il n’ait pas dormi depuis deux semaines, qu’il ait géré 42 courriels, 17 appels WhatsApp, 3 douanes et une annulation de dernière minute. Et qu’il recommencera demain matin. Parce qu’il aime ce sport.