J’ai vu d’anciens champions du monde rouler en Rolls-Royce… et d’autres mendier dans la rue.
Bien souvent, la différence ne tient pas seulement au talent ou à la chance, mais à un élément crucial: l’entourage. Certaines personnes te tirent vers le haut, d’autres t’alourdissent. Dans un sport aussi impitoyable que la boxe, chaque décision compte — il faut savoir bâtir au bon moment, et savoir se retirer quand il le faut. Pour y parvenir, il est souvent essentiel d’être bien conseillé.
Au Québec, nous sommes relativement chanceux. Cela fait près de vingt ans que j’évolue dans le monde de la boxe professionnelle. J’ai eu le privilège de l’observer sous toutes ses facettes: comme matchmaker, entraîneur, cutman, et dans les coulisses du sport. Et s’il y a bien un rôle qui soulève encore beaucoup de questions, c’est celui de gérant de boxeurs professionnels.

Photo: NY Times – Andre Berto, Al Haymon et Floyd Mayweather Jr
Gérant ou conseiller? Une distinction importante
Il faut d’abord distinguer deux termes qu’on utilise parfois à tort de façon interchangeable: le «gérant» et le «conseiller».
Un gérant, historiquement, c’était beaucoup plus qu’un simple négociateur de contrats. Il s’occupait de loger le boxeur, de lui offrir une allocation mensuelle, de couvrir ses frais d’entraînement (massothérapie, physiothérapie, équipement, etc.), de lui trouver des commanditaires, et de gérer sa carrière de façon très concrète et proactive. Il investissait du temps, de l’argent et beaucoup d’énergie. En retour, il prélevait une part importante de la bourse du boxeur (généralement autour de 25 %) ce qui était justifié étant donné tout ce qu’il assumait.
Aujourd’hui, la réalité a changé. Plusieurs soi-disant «gérants» ne font plus ce travail en profondeur. Ils ne fournissent plus de soutien matériel, logistique ou financier, et se contentent souvent de jouer un rôle de médiateur contractuel ou de représentant lors des négociations. C’est pourquoi, personnellement, je préfère parler de «conseiller» plutôt que de «gérant» dans plusieurs cas.

Photo: FF Unite – Keith Connolly et Edgar Berlanga
Gérant, conseiller, promoteur: qui fait quoi?
Dans l’univers professionnel de la boxe, il est essentiel de bien comprendre qui joue quel rôle. Le gérant (ou manager) est celui qui est censé veiller aux intérêts globaux du boxeur : il planifie sa carrière, négocie les contrats, protège ses droits, anticipe les risques. Le conseiller, quant à lui, est souvent un acteur plus ponctuel ou périphérique — il peut donner son avis, orienter certains choix, parfois servir d’intermédiaire, mais il n’a pas la même implication ni les mêmes responsabilités contractuelles.
Le promoteur est le principal organisateur des événements de boxe. C’est lui qui monte les galas, finance les bourses, assure la visibilité médiatique et assume les risques financiers liés aux combats. Il doit donc veiller à la qualité du spectacle tout en assurant une progression cohérente pour les athlètes qu’il met de l’avant.

Photo: Vincent Ethier – Antonin Décarie, Karim Bouzidi, Albert Ramirez et Camille Estephan
La relation entre promoteur et boxeur repose sur une interdépendance claire : le promoteur a besoin du boxeur pour vendre des billets, tandis que le boxeur a besoin du promoteur pour faire avancer sa carrière. Un bon promoteur sait créer des opportunités, mais ce n’est généralement pas à lui de gérer le quotidien de l’athlète, c’est précisément là que le rôle du gérant devient essentiel.
Cela dit, ne vous méprenez pas: lorsqu’un promoteur investit dans un boxeur, il a tout intérêt à ce que celui-ci évolue dans les meilleures conditions possibles pour atteindre ses objectifs. Il en va de la viabilité de son investissement.
Bien qu’aucun modèle ne soit parfait, au Québec, contrairement à certaines idées reçues, les boxeurs professionnels sous contrats sont, dans l’ensemble, très bien traités.
Comprendre ces distinctions évite bien des malentendus. Trop souvent, les jeunes boxeurs confondent ces fonctions, signent avec le mauvais interlocuteur… et paient le prix fort.

Photo: Vincent Ethier – Benedikt Peolchau, Osleys Iglesias et Camille Estephan
Deux réalités bien différentes
Il faut être clair: il existe encore des gérants exceptionnels, qui se battent corps et âme pour leurs boxeurs, qui les soutiennent dans les moments difficiles, les accompagnent au quotidien et les aident à bâtir une carrière sur le long terme. Certains le font sans même toucher un sou tant que leur boxeur ne perçoit rien. Ils le font par passion, par loyauté ou par foi dans leur potentiel. Ces gérants méritent le respect et la reconnaissance, car ils incarnent encore ce que le rôle devrait être.
Mais à l’autre extrême, on voit aussi des individus prélever des pourcentages faramineux sans offrir de réel soutien, ni présence ni vision. Ce déséquilibre a créé de la confusion chez les athlètes, les fans… et même parfois chez les promoteurs.
Et puis, il y a cette incohérence difficile à ignorer: l’entraîneur, qui passe chaque jour avec l’athlète, qui vit les hauts, les bas, les blessures, les remises en question, touche généralement 10% de la bourse. Comment est-ce logique qu’un gérant ou conseiller, souvent beaucoup moins présent et impliqué au quotidien, en touche 15%, 20% voire 25%? C’est une question que plusieurs boxeurs devraient se poser avant de signer.
Un rôle à redéfinir
Le rôle du gérant devrait être clair: il doit protéger son boxeur sur le plan contractuel, s’assurer qu’il reçoit ce qu’il mérite, qu’il est traité équitablement par les promoteurs et qu’il a une trajectoire de carrière cohérente. Il doit savoir dire non aux mauvais combats, anticiper les enjeux légaux, et créer un climat de confiance et de transparence.
Mais s’il veut toucher une part significative de la bourse, que ce soit 15%, 20% ou 25%, il doit aussi être prêt à s’investir. À aider l’athlète à performer, à l’accompagner dans ses décisions de carrière, à être là dans les hauts… et surtout dans les bas.
Conclusion
Ce texte n’a pas pour but de discréditer qui que ce soit, mais plutôt de mettre en lumière une réalité que beaucoup ignorent. Tous les gérants ne se ressemblent pas, et tous ne remplissent pas le même rôle. Certains changent des vies, d’autres prennent sans donner.
Il est temps de redonner ses lettres de noblesse à ce métier. Un bon gérant est un atout inestimable pour un boxeur. Il mérite d’être reconnu, voire même célébré. Mais à l’inverse, appelons un chat un chat : si tu n’investis rien, si tu n’es pas présent, si tu ne bâtis pas… tu n’es peut-être pas un gérant. Tu es un conseiller, et c’est bien correct comme ça… pourvu que les rôles soient clairs.