Photos: WBA Boxing – ‘Big’ Georges Foreman, une légende parmi les légendes…
En apprenant le décès de George Foreman, beaucoup de souvenirs me sont revenus. Je vais peut-être surprendre quelques-uns d’entre vous. En 1973, je n’étais pas très chaud à l’idée de voir le phénomène George Foreman prendre autant d’ampleur.
À ce moment-là, je commençais à m’intéresser sérieusement aux boxeurs dont les habiletés technico-tactiques étaient exceptionnelles. Je croyais alors qu’il fallait à tout prix démarquer celles-ci de la dimension «sport-spectacle». C’est pourquoi je voyais la popularité grandissante de George Foreman comme une menace au développement d’une boxe raffinée et astucieuse.
Pourtant, une douzaine d’années plus tard, Big George est devenu pour moi un modèle de résilience. D’ailleurs, en tant que formateur pour Boxe-Québec, je réfère régulièrement à la profonde transformation qu’il a apportée à sa boxe durant sa deuxième carrière.
LA MEILLEURE DÉFENSE, EST-CE L’ATTAQUE?
Nous sommes en 1974, George Foreman a tout balayé sur son passage. Il vient de détruire Joe Frazier et Ken Norton, deux boxeurs qui avaient donné du fil à retordre à Ali.
Face à ces deux adversaires, les carences défensives de Foreman n’étaient pas très évidentes. Il s’était imposé tellement tôt en début de combat qu’aucun d’eux n’était parvenu à réagir efficacement.
Mais si vous remontez au premier de ses deux affrontements contre Gregoria Peralta, en 1970, vous constaterez que le jeune Foreman a payé un prix énorme pour son absence de défensive. Il suffisait alors à Peralta de lancer le moindre coup de poing pour toucher la cible (ce combat est sur YouTube).
Foreman n’a tiré aucune leçon de cet affrontement. Il a continué sa série de ko comme si rien n’était, c’est-à-dire en expédiant ses coups dans tous les sens, comme s’il se débattait au milieu d’un essaim d’abeilles.
RETOUR À LA PLANCHE À DESSIN
Après sa défaite contre Jimmy Young, en 1977, Foreman accroche ses gants. Et ce n’est que dix années plus tard qu’il effectue un retour à l’âge de 38 ans.
Sur le plan technique, Big George n’est plus le même. À commencer par la défensive, sa garde est alors plus haute et notamment, ses bras forment un cadre plus restreint, donc beaucoup moins perméable aux coups des adversaires.
Ce ne sont pas tous les boxeurs qui peuvent se permettre de boxer les mains basses. En réalité, un petit nombre de boxeurs possèdent cette habileté sans que cela n’affecte leur défense. Ces boxeurs ont généralement l’avantage d’être imprévisibles, vu qu’ils exécutent leurs coups à partir d’une zone périphérique difficile à anticiper.
George Foreman ne possédait pas cette habileté. À son retour dans le ring, il avait compris qu’il devait resserrer sa garde tout en ajoutant quelques replis stratégiques à sa défensive. Cela lui a grandement réussi. Mais la nature profonde de Big George était celle d’un guerrier. Il l’est demeuré, mais non sans enrichir son attaque d’une qualité substantielle.
L’INTELLIGENCE DU RING
Même si le jeune George Foreman possédait un jab satisfaisant sur le plan technique, l’usage qu’il en faisait en début de carrière n’était pas pour autant approprié. C’était comme s’il l’exécutait machinalement, par routine. Son jab n’était ni plus, ni moins qu’une sorte d’étape préalable, mais sans rapport véritable avec la rafale de coups qui s’en suivait.
Or, une dizaine d’années plus tard, Big George a donné à l’exécution de son jab une place centrale. Par exemple, il lui arrivait souvent de l’utiliser lorsque l’adversaire tenait ses mains très hautes en guise de bouclier. Son jab consistait alors à séparer la garde de l’adversaire et ainsi créer une ouverture pour le direct du droit.
Par ailleurs, en utilisant de façon constante son jab, George Foreman a pu mettre fin à une lacune qui consistait à incliner la tête vers l’avant. Auparavant, il se trouvait malencontreusement à exécuter la plupart de ses combinaisons de coups tout en immobilisant le poids de son corps en dehors de ses appuis. Ce sont donc ses jabs qui lui ont permis de rétablir sa position de base et gagner en stabilité.
Ce n’est pas tout! Étonnamment, Big George est également parvenu à mettre davantage l’accent sur ses coups droits. En agissant ainsi, il a fait en sorte que les crochets et les uppercuts conservent leur effet de surprise.
À compter du moment où Foreman a misé sur l’intelligence du ring, de multiples facettes de sa boxe se sont améliorées. Je ne compte pas toutes les mentionner. Mais je m’en voudrais d’omettre l’une d’elles.
LA GESTION DE L’ÉNERGIE
En général, le jeune Foreman pouvait tout au plus rester calme durant les deux premiers rounds d’un combat. Sa technique n’était pas jusque-là déficiente. Puis soudainement, il était comme pris de rage. Tous ses coups de poing étaient alors exécutés avec une puissance telle que cela l’amenait à un manque d’énergie.
Il faut savoir que les boxeurs très puissants ne peuvent pas en général maintenir 100% de leur énergie pendant très longtemps. Bien évidemment, il y a des exceptions. Mais pour la plupart d’entre eux, leurs réserves vont rapidement s’épuiser au fur et à mesure que les filières produisant l’énergie n’arrivent plus à renouveler celle-ci.
Dans sa deuxième carrière, Big George ne lançait plus ses combinaisons de coups à pleine puissance. Il a compris qu’il n’était pas nécessaire de mettre autant de tension dans ses coups pour frapper avec force.
En outre, au lieu d’utiliser uniquement ses bras, ce sont toutes ses articulations qui contribuaient à optimiser l’impact. Ici, plus la puissance est répartie entre les diverses articulations, plus l’économie d’énergie est appréciable.
Il y aurait encore tellement à dire sur ce grand boxeur. Mais comme il est temps de conclure, je vais brièvement revenir sur cette résilience démontrée par George Foreman. Ne doit-elle pas devenir une inspiration pour tout jeune boxeur?
UN CHANGEMENT DE MENTALITÉ BÉNÉFIQUE
Comme on sait, le jeune George Foreman combattait avec une rage telle qu’il en perdait ses repères techniques. Pourtant, il avait été formé par d’excellents entraîneurs dont Archie Moore, l’un des meilleurs techniciens de son époque.
Mais heureusement que George Foreman a bénéficié de tels enseignements! Sans ceux-ci, il est probable qu’il n’aurait jamais connu une deuxième carrière aussi percutante. La maîtrise de la technique ne s’improvise pas.
S’il y a une leçon à tirer de tout ceci pour nos jeunes boxeurs, c’est qu’ils doivent persister dans le développement de leurs habiletés techniques même lorsque leurs pulsions les amènent à combattre de façon irréfléchie.
Il faut alors penser au moment où ces jeunes boxeurs pourraient atteindre une maturité suffisante leur permettant de bénéficier de leurs acquis techniques. D’autant que le cas échéant, ce serait l’occasion pour eux de faire un clin d’œil à la carrière de George Foreman!