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La boxe et ses métiers | Cutman: Mission Impossible!

Samuel Décarie-Drolet - Punching Grace

Il y a quelque temps, j’ai vécu une scène qui résume bien la portée du métier de cutman aujourd’hui.

Dans la même journée, j’ai échangé avec Russ Anber, qui se trouvait à Londres, et avec Luc-Vincent Ouellet, en poste à Las Vegas. Moi, j’étais à New York. Trois Québécois, dans trois coins du monde, réunis par une même mission. Tout est couvert! Nos déplacements, nos hôtels, nos repas et bien entendu nous allions recevoir quelques dollars pour notre expertise.

Pourquoi? Parce que des boxeurs avaient choisi de miser sur une forme d’assurance bien particulière: faire appel à des cutmen d’ici. Ce n’est pas un hasard si ce métier nous mène aux quatre coins de la planète. Ces trois cutmen (Russ, Luc et moi) avons voyagé dans une quinzaine de pays : les États-Unis, la Russie, l’Argentine, la France, le Mexique, l’Angleterre, l’Arabie Saoudite, Dubaï, la Roumanie, la Colombie, l’Allemagne… et j’en passe. Nous avons pu visiter de grandes villes de ce monde comme Vegas, Londres, Paris, Los Angeles, Buenos Aires, New York, pour ne nommer que celles là…

Invisible pour beaucoup, notre rôle est pourtant essentiel.

Photo: Vincent Ethier – Marc Ramsay, Samuel Décarie-Drolet et Jhon Orobio

On voit souvent dans les films d’espionnage un héros qui a moins d’une minute pour sauver le monde en désamorçant une bombe nucléaire capable de raser la moitié de la planète. Suspense, pression, sueur froide… Et bien dites-vous que la boxe regorge elle aussi de super-héros, qui œuvrent le plus discrètement possible avec une mission simple, mais capitale : sauver des combats… et parfois même des carrières.

Ces héros silencieux, ce sont les cutmen.

J’ai la chance de travailler comme cutman en boxe et en arts martiaux mixtes depuis plusieurs années et je peux vous confirmer que ce rôle, bien qu’invisible pour beaucoup de spectateurs, est un maillon essentiel de la chaîne. Et comme dans les films, on n’a souvent moins d’une seule minute pour tout changer.

Dans l’angle du ring, chaque seconde compte

Le travail du cutman commence dans les vestiaires, mais c’est en plein cœur de l’action qu’il prend tout son sens. Entre deux rounds, on intervient pour gérer les coupures, réduire l’enflure, contenir les saignements, appliquer de la vaseline et permettre au boxeur de repartir dans les meilleures conditions possibles. On ne donne pas d’instructions techniques, chacun son travail. On préserve la machine en état de marche.

Ce que peu de gens réalisent, c’est que tout cela se fait en moins d’une minute, souvent même en 20 à 30 secondes réelles, une fois que le coach a fini de parler et que le boxeur a repris son souffle.

Dans cet espace-temps minuscule, l’organisation et la communication sont souvent la clef du succès. Tout doit être à sa place, chaque geste doit être précis, et la coordination avec l’équipe du coin doit être fluide. Il n’y a pas de place à l’improvisation.

Photo: Vincent Ethier – Luc-Vincent Ouellet et Shamil Khataev

Ce qui distingue un vrai cutman

Un bon cutman ne se fait pas remarquer. Il est rapide, calme et efficace. Il connaît les règlements des différentes commissions, il choisit les bons instruments de travail, il anticipe les réactions du corps humain et il lit les visages comme un médecin d’urgence lit une radio.

Mais au-delà de la technique, ce qui fait vraiment la différence, c’est le sang-froid. Quand un boxeur rentre au coin avec l’arcade éclatée, l’œil qui ferme ou le nez cassé, c’est au cutman de garder le combat en vie, sans jamais paniquer, sans perdre une seconde. Un bon cutman aidera même le coin à prendre une décision cruciale: «Devons nous arrêter le combat ou le combat peut continuer?»

Hommage à ceux qui ont tracé la voie

Certaines figures ont marqué notre métier à jamais. Il y en a une dizaine… mais pour en nommer que quelques uns, Chuck Bodak (Ali, Chavez, De La Hoya, Holyfield, Hearns, Vargas, etc.), avec son style unique et ses autocollants collés au visage, était autant un personnage qu’un technicien redoutable. De son côté, Al Gavin (Lewis, Gatti, Forrest, Klitschko, etc.), lui, brillait par son calme et son sens de l’anticipation. Miguel Diaz (Mayweather, Pacquiao, Donaire, Morales, etc.) lui était reconnu pour son calme, sa constance et sa maîtrise technique. Il est l’un des rares à avoir combiné des rôles de soigneur, d’entraîneur et de conseiller avec autant de succès. Jacob “Stitch” Duran (Klitschko, Ward, Fury, plusieurs du UFC aussi) est devenu une légende autant en boxe qu’en MMA, et incarne le respect dans le milieu.

Photo: Vincent Ethier – Jacobo Crismatt et Russ Anber

Le rôle du cutman est souvent mal compris, voire sous-estimé, alors qu’il est essentiel. Bien plus qu’un simple soigneur, il est le garant de la continuité. Quand un combat menace de basculer à cause d’une coupure ou d’un œil fermé, c’est lui qui redonne une chance au boxeur. Parfois, c’est grâce à lui que ce dernier peut aller chercher une victoire, un bonus, une ceinture… ou juste rester en sécurité.

Un clin d’œil à ceux qui travaillent dans l’ombre

Dans un article précédent, je parlais des matchmakers, ces architectes du sport qui bâtissent les affrontements en arrière-scène. Le cutman, lui aussi, agit loin des projecteurs. Sauf que son moment à lui, c’est quand la tension est à son comble. On n’écrit pas l’histoire d’un combat, mais on s’assure qu’elle puisse continuer.

La prochaine fois que vous regarderez un gala, observez le coin pendant les pauses. Si vous voyez un homme concentré, un cotton-tige à la main, un enswell dans l’autre, qui agit en silence pendant que tout le monde retient son souffle… vous venez de croiser un cutman.

Un de ces héros discrets qui, comme dans les films, ont moins d’une minute pour tout sauver.