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La Commission athlétique: gardienne de l’intégrité en boxe professionnell

Samuel Décarie-Drolet - Punching Grace

Un jour, j’étais en Argentine pour un grand événement de boxe présenté par HBO et mettant en vedette lors du combat final Sergio Martinez contre Martin Murray, c’était en 2013…

En entrant dans le vestiaire avec toute l’équipe, j’ai réalisé quelque chose qui m’a profondément marqué: il n’y avait personne de la commission athlétique sur place. Aucun officiel pour superviser les bandages, aucun responsable pour valider les gants, aucune vérification antidopage.

En toute honnêteté, on aurait pu tricher à chaque étape: altérer les gants, cacher des substances interdites, truquer les bandages… et personne ne s’en serait rendu compte.

Et vous savez quoi? Ce n’était pas une exception. Dans ma carrière, j’ai vu ce genre de situation se produire à plusieurs reprises, dans différents pays, et ce, encore aujourd’hui, en 2025.

C’est dans ces moments-là qu’on réalise à quel point nous sommes choyés au Québec.

Photo: The Province – Sergio Martinez VS Martin Murray

Un pilier méconnu de la boxe

Dans ma série d’articles sur les héros obscurs de la boxe, j’ai voulu mettre en lumière ceux qui font rouler notre sport, souvent dans l’ombre. Un acteur absolument essentiel au bon déroulement des événements, mais encore trop méconnu du public est sans contredit la commission athlétique.

Concrètement, une commission athlétique est l’organe de régulation qui supervise et encadre les sports de combat dans une région donnée. Elle veille à ce que les règles soient respectées, que la sécurité des athlètes soit assurée et que l’intégrité du sport soit préservée. Que ce soit au moment des pesées, pendant les combats ou dans la gestion des suspensions médicales, c’est elle qui détient le dernier mot.

Ses responsabilités sont nombreuses et cruciales. Elle délivre les licences pour les boxeurs, les entraîneurs, les cutmen, les juges, les arbitres et même les promoteurs. Elle valide les combats, approuve les affrontements, s’assure que les boxeurs sont médicalement aptes à monter dans le ring, attribue les officiels, et peut aussi annuler un combat si des conditions de sécurité ne sont pas approuvées par l’équipe médicale de la RACJ. Le soir de l’événement, elle supervise toute l’opération, en coulisses comme sur le ring, et peut intervenir en cas d’urgence.

Bref, la commission n’est pas là pour ralentir les choses, mais bien pour que tout se passe dans le respect, l’équité et la sécurité.

Une histoire forgée dans les épreuves

Avant 1987, la réglementation de la boxe professionnelle était laissée aux commissions athlétiques municipales. Ce système décentralisé, souvent mal encadré, a mené à plusieurs dérives, dont l’une des plus tragiques : le décès du Montréalais Cleveland Denny en 1980, à la suite de son combat contre Gaétan Hart. Ce drame a marqué un tournant. Une étude menée par Gilles Néron a mis en lumière les pratiques douteuses de l’époque et a mené à des recommandations majeures : carnet du boxeur, suivi médical, réglementation des permis, et surtout, la création d’un cadre provincial centralisé.

Photo: Le Devoir – Gaétan Hart

En 1987, après un second rapport dirigé par le juge Raymond Bernier sur l’infiltration du crime organisé dans la boxe, le Québec abolit ses commissions municipales. La responsabilité des sports de combat passe à la Régie de la sécurité dans les sports (RSSQ), puis, en 1998, à la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ), où elle demeure à ce jour.

L’héritage de Mario Latraverse

Le grand architecte de cette réforme est Mario Latraverse, policier de carrière, qui a supervisé plus de 1 900 combats au cours de ses 21 années à la tête de la section des sports de combat. Sa mission : redonner à la boxe québécoise ses lettres de noblesse par une réglementation stricte, impartiale et respectée.

Pour bâtir une structure à l’abri des influences douteuses, Mario Latraverse s’est entouré d’une équipe principalement composée d’anciens policiers. Ce choix stratégique visait un objectif clair : tenir le crime organisé à distance du sport. Ces collaborateurs, dotés d’un sens aiguisé de l’intégrité et d’une vigilance constante, ont permis d’imposer une culture de rigueur qui perdure encore aujourd’hui. Grâce à cette approche, le climat autour du sport s’est assaini, et un cadre plus professionnel et crédible a pu s’installer durablement.

Une reconnaissance qui dépasse nos frontières

Grâce à cette fondation solide, le Québec s’est bâti une réputation d’excellence. Aujourd’hui, plusieurs juges, arbitres et superviseurs québécois rayonnent sur la scène internationale. Ils sont appelés dans les galas les plus prestigieux de la planète, parce que leur compétence est reconnue et respectée.

Dernièrement, plusieurs juges québécois ont été assignés à des combats majeurs. Benoit Roussel a œuvré lors d’Usyk contre Dubois, ainsi que Berlanga contre Sheeraz. Richard Blouin a été juge pour Norman Jr contre Sasaki et Buatsi contre Smith. Pasquale Procopio a été appelé pour Shields contre Daniels. Nicolas Esnault a officié le combat Serrano contre Taylor.

Et que dire de Mike Griffin, que je considère personnellement comme l’un des meilleurs arbitres au monde. Il représente le Québec avec professionnalisme et sang-froid dans les combats les plus critiques, là où chaque décision compte.

Photo: Vincent Ethier – Mike Griffin

Une force trop souvent sous-estimée

En tant que cutman et homme de coin ayant voyagé dans de nombreux pays, j’ai vu des commissions corrompues, d’autres désorganisées, et certaines tout simplement inexistantes. Des combats autorisés malgré des risques évidents, des athlètes mal protégés, des décisions douteuses. À l’opposé, la RACJ incarne une approche rigoureuse, transparente et humaine, respectée bien au-delà de nos frontières.

Il ne faut pas voir la commission comme une autorité restrictive, mais comme un filet de sécurité pour les athlètes et pour le sport lui-même. Elle protège les boxeurs, les entraîneurs, les promoteurs, les officiels… mais aussi la crédibilité de la boxe professionnelle.

Dans un monde où une carrière peut basculer sur un seul combat, et où la moindre négligence peut avoir des conséquences graves, la commission athlétique est tout simplement indispensable.

Et au Québec, on peut dire sans gêne qu’elle est parmi les meilleures au monde.