Certains disent qu’ils se ressemblent… «journeyman», «faire-valoir», «gatekeeper»… mais ce sont trois réalités bien distinctes.
Il faut toutefois distinguer le journeyman du faire-valoir, que certains appellent à tort sac de sable, jambon, chauffeur de taxi ou canne de tomate.
Le journeyman, c’est un professionnel aguerri, un encaisseur capable de livrer un combat honnête, d’amener un jeune espoir dans des eaux inconnues et de l’obliger à s’adapter. Il connaît le métier, sait comment survivre, ralentir le rythme, frustrer, accrocher, contre-attaquer. Il est un vrai test, il nous permet de voir de quoi est fait le prospect.

Photo: Vincent Ethier – Alexis Gabriel Camejo
À l’inverse, le faire-valoir, c’est un boxeur qui est placé dans un combat déséquilibré, souvent mal apparié, hors forme ou inexpérimenté, dont la fonction est simplement de faire bien paraître son adversaire. Il y a là une différence fondamentale: le journeyman impose une épreuve, le faire-valoir offre un spectacle sans réelle opposition. L’un élève le sport. L’autre l’endort.
Il existe aussi une troisième catégorie importante: le gatekeeper. Nous en avons déjà parlé dans un autre texte. Contrairement au journeyman, le gatekeeper est un boxeur établi, souvent classé mondialement, qui n’est plus à l’étape de devenir champion, mais qui demeure un redoutable test pour ceux qui aspirent à l’élite. Battre un gatekeeper, c’est franchir une barrière légitime vers les plus hauts sommets. Perdre contre lui n’est pas une honte, c’est la preuve qu’il reste du chemin à faire. Le journeymen n’est ni un tremplin ni un figurant : c’est le gardien du seuil, celui qui dit au prospect : montre-moi ce que tu vaux vraiment. Dans l’ordre du développement, on affronte d’abord des faire-valoir, puis des journeymen, ensuite des gatekeepers, avant de prétendre au sommet. Chacun joue son rôle. Chacun est utile. Mais tous ne se valent pas.

Photo: Vincent Ethier – Darnell Boone
Pourquoi les journeymen existent-ils?
Les journeymen ne bâtissent pas de carrières invaincues. Ils participent à l’édification d’espoirs en leur fournissant un adversaire crédible, réaliste, qui oblige à progresser ou à se corriger. C’est grâce à eux que plusieurs boxeurs locaux apprennent à encaisser, à poser leurs marques, à gérer leur souffle et à maîtriser le ring. Puis ensuite ils sont prêts à faire face à de véritables combats face à des gatekeepers ou encore à des combats prestigieux pour des titres.
Au Québec, des boxeurs comme Stéphane “Brutus” Tessier, Martin Desjardins ou feu Sébastien Hamel ont contribué à former des talents comme Alexander Povetkin, Oscar Rivas, Jean Pascal, Chad Dawson, Peter Quillin, ou encore de nombreux espoirs canadiens en quête de rounds sérieux. Les combats qu’ils ont livrés, même en terrain hostile, ont servi à tester des prospects, à les affiner et à les préparer aux exigences de l’élite.

Photo: Vincent Ethier – Facundo Nicolas Galovar
Au Québec, la boxe est encadrée… mais tout sport comporte des risques
Rappelons-le clairement : personne ne force un boxeur à monter dans le ring. Tout passe par une offre que le boxeur est libre d’accepter ou non. Tout cela est supervisé par des commissions athlétiques, avec examens médicaux et officiels désignés. Mais malgré ce cadre, l’esprit de guerrier des pugilistes les pousse souvent à dire oui, même quand un combat serait mal avisé ou prématuré.
C’est là qu’intervient la responsabilité de l’entraîneur, et dans certains cas, du manager. C’est à lui de dire non lorsque le défi est trop grand si les bonnes conditions ne sont pas réunies. C’est à lui de protéger son athlète. Une carrière bien pensée, bien encadrée, se bâtit avec discernement. Car un boxeur dira presque toujours oui. Il faut donc savoir bâtir pour lui… parfois malgré lui.

Photo: Vincent Ethier – Ricardo Adrian Luna
La boxe est faite de nuances
Le journeyman est un pilier. Il ne cherche pas l’attention. Il ne cherche pas les titres. Pourtant, sans lui, pas de relève solide, pas de jeunes talentueux à la hauteur. Il est un artisan de l’ombre. Il est parfois la dernière étape avant la vérité. Et il mérite notre respect.
Il mérite notre gratitude.