Évidemment que les boxeurs qui m’ont allumé dans les années 70 et 80 à La Presse ne font pas partie de votre vie, ou si peu. Vous êtes beaucoup trop jeunes.
Mais hier, en regardant la conférence de presse de la soirée présentée au Casino jeudi soir, (au Casino, pas au vieux Centre Paul-Sauvé ou au Forum), Osleys Iglesias, Jhon Orobio, Moreno Fendero ou Dzmitry Asanau auraient fait pleurer de joie vos parents. Tellement de beaux talents assis à la même table.
Photo: Vitor Munhoz – Osleys Iglesias et Vladimir Shishkin
Vous voulez savoir quelles étaient les grandes vedettes qui remplissaient les arénas pour le promoteur Régis Lévesque ? Qu’on couvrait à pleines pages dans La Presse et encore plus dans le Journal de Montréal où Régis écrivait lui-même ses pages de pub…
Jean Claude Leclair¸ Eddie Melo, Nick Furlano, Jean Lapointe ou Gaétan Hart faisaient partie de nos vies quotidiennes. Avant eux, on avait eu droit à Yvon Durelle et Robert Cléroux. Pourtant, à part Gaétan Hart qui a eu droit à une chance au titre mondial contre Aaron Pryor à Cincinnati, le mieux que toutes ces stars pouvaient espérer, était de gagner un championnat canadien.
Aujourd’hui, plus personne ne se préoccupe d’un titre canadien.
Photo: Vincent Ethier – Steven Butler
Steven Butler a déjà disputé deux combats pour un titre mondial. En Californie et au Japon. David Lemieux a gagné au Centre Bell et a perdu au Madison Square Garden. Osleys Iglesias, Christian Mbilli, Albert Ramírez et les autres naviguent dans les eaux mondiales. À chaque mois.
C’est le 11 novembre 1980, à Cincinnati, que j’ai couvert mon tout premier combat de championnat du monde disputé par un boxeur local. Cinq mois plus tôt, j’étais première rangée pour Durán-Leonard. Mais les locaux faisaient à peine la sous-carte. À part Gaétan Hart. Ça vous fait comprendre d’où part la boxe au Québec.
Depuis Matthew Hilton contre Buster Drayton, on a eu droit aux Hilton, à Éric Lucas, à Jean Pascal, à Adonis Stevenson, à David Lemieux, à Artur Beterbiev, à Lucian Bute, à Adrian Diaconu, à Marie-Ève Dicaire, à Mary Spencer, à Eleider Álvarez, à Oscar Rivas, à Christian Mbilli et ajoutez-en à la pile.
Photo: The Fight City – Marie-Ève Dicaire
C’est extraordinaire. Je peux mieux savourer parce que j’ai vu le chemin parcouru. Comme journaliste, j’ai accompagné la longue marche vers un titre mondial de tous ces boxeurs.
Des futurs top-5 mondiaux, il y en avait à la table hier à la conférence de presse d’Eye of The Tiger. Et Jhon Orobio fait partie du lot. En plus, il pourra bientôt se faire un petit à-côté en donnant des cours de français aux joueurs du Canadien.
Photo: Vincent Ethier – Marc Ramsay et Jhon Orobio
Ça ne veut pas dire qu’ils seront tous champions du monde mais le simple fait qu’ils puissent légitimement en rêver, en dit beaucoup.
Des esprits chagrins prétendent qu’il faut maintenant importer nos boxeurs, je leur dirai que Michel Boivin, d’Identification Sports à Chicoutimi, a dû remplacer les 22 couturières syndiquées après leur retraite par des travailleurs immigrants, parce qu’il ne trouvait pas personne pour faire le travail.
Photo: Vincent Ethier – Christian Mbilli
Et j’ajouterais que cette situation se retrouve dans la moindre pme québécoise qui a besoin d’une demi-douzaine de travailleurs. Même dans une scierie vieille de 60 ans de Lac-Malartic, j’ai eu le plaisir de discuter avec un ouvrier venu du Cameroun. Son boxeur favori, c’est qui ? Mbilli, ce fils du Cameroun et de la France qui a adopté le Québec.
Il y a quelques boxeurs pure laine qui tentent de vivre leur trip sans trop se faire arnaquer. Mais ils doivent souvent vendre des tickets pour se faire payer une pitance. Quand ils sont payés.
Et dans un Québec mondialisé où on peut voir les plus grands combats au monde trois soirs par semaine, que ce soit Canelo, Tyson Fury ou Oleksandr Usyk, je ne suis pas convaincu que les vieilles recettes de Régis Lévesque fonctionnent encore.
Photo: Vincent Ethier – Simon Kean
Simon Kean a joué ce rôle de vedette locale pour remplir l’Aréna de Shawinigan. Mais on oublie vite que Kean a perdu son dernier combat à Riyad en Arabie contre Joseph Parker. C’était sa deuxième défaite en carrière.
Joseph Parker a détenu une panoplie de ceintures de toutes les associations, a sacré une raclée à Deontay Wilder et Zhilei Zhang, et est classé quatrième au monde par Box Rec.
On parle d’un grand.
Camille Estephan et Eye of the Tiger ont bâti, avec patience et de lourds investissements, une entreprise capable de se mesurer aux plus grands promoteurs sur la planète boxe. Qu’on parle de Bob Arum, d’Eddie Hearn, d’Oscar de la Hoya, de Frank Warren et maintenant de TKO de Dana White. Et dans ce cas spécifique, on doit ajouter «mega entreprise».
Photo: Vincent Ethier – Albert Ramirez et Camille Estephan
Ça demande de la patience. Il faut que Jhon Orobio se fasse connaître. Même chose pour Moreno. Et Osleys Iglesias et Albert Ramírez. On parle de l’élite mondiale. Et EOTTM n’a pas le contrôle sur les médias qu’exerce le Canadien par exemple, pour vendre son produit. Même si les locaux sont rares et qu’ils ne parlent pas français au Centre Bell.
Le vrai pari d’EOTTM est audacieux. Leurs boxeurs sont tellement bons que les Québécois vont finir par les adopter…
C’est le cas avec Christian Mbilli.
D’autres sont prêts…
Dans le calepin
Il y a des phrases qui sonnent. Moreno, portant fièrement son uniforme de la marine de guerre française, a lâché :
«C’est toute une vie dans un bout de tissu». Il faisait allusion aux quatre ans passés sur le porte-avion Charles-de-Gaule.
Soit dit en passant, on ne dit pas que Moreno s’est habillé en soldat. On dit qu’il porte l’uniforme. Ce n’est pas un déguisement.
Photo: Vitor Munhoz – Moreno Fendero