Le combat entre Christian Mbilli et Lester Martinez a quelque chose de dramatique. Les deux hommes jouent tellement gros.
Encore une fois, la boxe permet de vivre des moments magiques. Pour un journaliste, c’est un cadeau du ciel que de partager ces tensions, ces peurs, ces espoirs fous…
Un soir, à la brunante, je m’étais retrouvé à Deer Lake en Pennsylvanie avec Jean-Denis Girouard du Journal et Steve Zalac de la RIO. La Régie des installations olympiques.
On était dans la cour du gymnase et du chalet de Muhammad Ali. Cette grande cour où de gros rochers étaient baptisés Joe Louis, Jack Dempsey, Jack Johnson et plusieurs autres peints sur le roc. Tous des grandes légendes de l’histoire de la boxe.
On attendait que Muhammad Ali nous reçoive. Ça devait faire partie d’une entente promotionnelle pour la présentation du combat Duran-Leonard au Stade olympique. Le 20 juin 1980.
Oui, oui, à l’époque, le Québec pensait grand.
Vers sept heures, quelqu’un était venu nous chercher et on était entré dans la maison.
Muhammad Ali était étendu sur un sofa et jouait avec sa fille Laïla. Celle-là même qui allait devenir championne du monde des années plus tard.
Photo: World Boxing Association – Muhammad Ali
Je m’étais assis sur le bout du divan et j’avais sorti un petit magnétophone à cassette pour tout enregistrer la conversation.
Et là, Ali y était allé d’une série de réponses, passant d’un sujet à l’autre, insistant sur les besoins d’instruire et d’éduquer les jeunes Noirs et nous faisant même à la fin de petits tours de magie.
Vers neuf heures, on était repartis vers un petit motel au pied de la côte et on s’y était installés pour la nuit.
J’avais sorti mon gros ordi de l’époque et écrit un long article pour La Presse. À l’époque, on transmettait les textes en entrant le combiné du téléphone dans l’ordi et la composition se faisait automatiquement.
Sauf que ce soir-là, dans le motel, les téléphones étaient tellement vieux qu’ils étaient à roulette. Pas moyen de communiquer avec les ordinateurs de La Presse.
Finalement, c’est à la réception que j’avais installé la grosse Bertha pour expédier le texte au journal.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Il y a trois mois, en vérifiant une information, j’ai appris que Steve Zalac, depuis longtemps à la retraite, a conservé la cassette de la conversation avec Muhammad Ali.
Je me suis juré de prendre le temps d’aller réécouter ce conte de fées. Et de la voler en me sauvant avec elle…
Photo: José Théodore, sur place pour le combat de David Lemieux
Une autre belle histoire se passe à New York. Cette fois, c’est David Lemieux, champion du monde, qui affrontait dans un combat pour l’unification des titres, le grand Gennady Golovkin.
New York, c’est gros. Madison Square Garden, c’est mythologique. Golovkin était peut-être le meilleur livre pour livre de ces années.
Vivre avec David pendant toute cette semaine à New York, voir la fierté dans ses yeux quand on lui avait remis un ticket en argent parce que le Madison Square Garden était à guichets fermés pour le combat, réaliser comment le moindre détail prenait de l’importance à quelques heures du combat, assister à l’arrivée de ces milliers de Québécois descendus à New York pour encourager David…
Photo: David Lemieux
L’arrivée ringside de Donald Trump qui allait être président des États-Unis…
Comment voulez-vous rester insensible et froid en s’installant dans son siège à la table de presse ?
Surtout quand votre ordi plante pendant les premiers combats et que Claudia d’Eye of The Tiger doit aller chercher son propre ordi dans sa chambre d’hôtel pour que les lecteurs puissent lire une chronique écrite dans le feu de l’action.
Je ne vous parlerai pas de Riyadh ou de Nottingham, ni de Bucarest ni de Vegas. Je vais vous parler de Wendake. Et d’une autre belle histoire de boxe.
C’est il y a deux étés. Je participais au tournage d’un documentaire sur Christian Mbilli. Le même Christian qui va monter dans le ring samedi soir.
Photo: Artur Beterbiev et le doc Mailloux
En sachant à quel point les Français adorent nos histoires d’Amérindiens en s’imaginant que Québec s’appelle encore Stadaconé, on avait invité Christian, son père adoptif et sa mère camerounaise, à Wendake.
Steeve Gros Louis était l’hôte impeccable et chaleureux de la tournée.
À un moment donné, Steeve a conduit Christian, son père et sa mère dans la Maison longue, au centre de la réserve. La Maison longue servait à accueillir les familles de Wendake dans les grands froids de l’hiver. Tout le monde s’y regroupait pour tenter de se réchauffer et survivre.
J’ai bien noté le visage bouleversé de Mme Mbilli quand elle est entrée dans la maison. Pour être allé quatre fois en Afrique, j’avais vu ces longues maisons au cœur des villages en Guinée ou au Burkina Faso.
Plus tard, en racontant son périple à Québec, Mme Mbilli s’est mise à refouler ses larmes en expliquant que pour elle, la visite à la Maison longue, avait été le fait saillant de sa visite au Québec :
« J’ai plein d’images de mon enfance et de ma jeunesse qui sont remontés en mémoire. J’ai vécu ces moments avant de quitter le Cameroun quand j’étais une toute jeune femme », de raconter Mme Mbilli.
Photo: Christian Mbilli avec son père, sa mère et Steeve Gros Louis
Pour s’en aller en France, elle avait laissé le petit Christian à ses sœurs et à ses cousines qui ont pris soin de l’enfant en attendant qu’il puisse aller rejoindre sa mère à Paris quelques années plus tard.
La boxe, c’est aussi ces histoires qui serrent le cœur avant que la cloche ne sonne le début du combat.
Samedi, je suis loin d’être convaincu que papa et maman vont s’installer devant leur télé à Paris pour voir leur fils…
Des fois, les coups font trop mal.