À 4 heures et demie, le 17 octobre 1995, il y a trente ans cette semaine, je roulais sur le pont Champlain en direction du Forum de Montréal.
Le relationniste du Canadien m’avait juste dit « que je devais être là ». Ça voulait dire une énorme transaction, genre Patrick Roy, ou un congédiement.
J’avais donc appelé Patrick avant souper et il m’avait dit qu’il n’avait pas reçu de message de Serge Savard.
Ça voulait donc dire un congédiement. Fallait que ce soit Jacques Demers. Le CH avait perdu ses quatre premiers matchs et l’équipe jouait très mal.

Photo: Sports Illustrated – Serge Savard
C’est au Forum, en voyant Ronald Corey, les traits tirés, s’installer au podium derrière le micro que j’ai réalisé. Si c’était le président qui parlait, c’était donc Serge Savard qui était congédié !
Le Sénateur. Gagnant de deux Coupe Stanley ? Dehors !
C’était encore bien pire. Ronald Corey se préparait à annoncer le congédiement de Savard, de Jacques Demers, d’André Boudrias et de Carol Vadnais. Les bâtisseurs de la dernière Coupe. Trois fumeurs de cigare sur quatre.
Seul Jacques Demers retrouvait une planque au deuxième étage.
C’était un mardi noir.

Photo: IMDB – Ronald Corey
« TELL ME I’M DREAMING »- RED FISHER
Le samedi, à 16 heures, trois heures et demie avant le match, on présentait aux journalistes les nouveaux patrons du Canadien. Réjean Houle, directeur des communications chez Molson depuis 10 ans, Mario Tremblay, commentateur de hockey à CJMS et CKAC et Yvan Cournoyer, coach au hockey sur roues alignées.
Le titre de ma chronique du lendemain : « Peanut ! Je ne comprends pas encore »
Trente ans plus tard, je ne comprends toujours pas.

Photo: La Chronique à Réjean
Ce fut le début d’une presque continuelle galère qui a duré 30 ans. Peut-être 29 ans. Puisque la saison dernière, les Glorieux se sont faufilés en séries éliminatoires au dernier soir de la saison.
Trente ans de misère et d’erreurs. De congédiements et d’embauches. Trente ans qui ont vu partir Ronald Corey et tous ceux qui étaient là le 17 octobre 1995.
Réjean Houle a été une catastrophe. Malgré sa gentillesse et son intelligence, il n’avait ni le tempérament ni l’expérience pour succéder à un géant comme Serge Savard. Mario Tremblay aurait pu devenir un bon coach. Mais son ego surdimensionné lui a beaucoup nui. L’épouvantable transaction de Patrick Roy, c’est cet orgueil bouffi qui l’a causée.
Puis, l’inévitable est arrivé. Réjean Houle a été congédié et planqué à la présidence des Anciens Canadiens.

Photo: La Poche Bleue – Patrick Roy et Mario Tremblay
ANDRÉ SAVARD : LUI, IL ÉTAIT BON !
Est arrivé André Savard. Le seul qui avait le coffre et l’intelligence pour rebâtir cette organisation. En peu de temps, il a repêché Tomas Plekanec et Chris Higgins et est allé chercher Benoît Brunet, Donald Audette et surtout Doug Gilmore, la star des Maple Leafs de Toronto.
Mais André Savard a la tête dure. Et quand le propriétaire George Gillett a commencé à l’appeler directement à la maison pour lui ordonner de faire signer un nouveau contrat à Gilmore que Savard savait fini, il a commencé à grincer des dents.
Puis, un jour, Bob Gainey a téléphoné directement à Dan O’Neill, président de la Brasserie Molson, en lui disant qu’il aimerait devenir directeur général du Canadien. André Savard était cuit. On l’a forcé à jouer une humiliante comédie lors de la conférence de presse. Il a dit que c’est lui qui avait recommandé au Canadien de prendre Bob Gainey, que c’était une trop grande opportunité.

Photo: NHL.com – Bob Gainey
Savard était à l’assemblée des actionnaires de l’Entourage samedi dernier et il grimace encore quand je lui rappelle cette triste conférence de presse.
Les trente ans de galère se sont poursuivis. Bob Gainey, déprimé et diminué par les problèmes de drogue de sa fille et par sa mort, à bord d’un voilier école, n’était plus le même homme.
Il est allé chercher Scott Gomez aussi usé qu’une vieille picouille de laitier des années 50. Mais il a aussi attiré à Montréal Alex Kovalev et repêché Carey Price.
Puis, Pierre Gauthier, le sympathique sociopathe ami des journalistes est venu échanger Jaroslav Halak, embaucher et congédier Jacques Martin avant de se faire montrer la porte.

Photo: NHL.com – Marc Bergevin
MARC BERGEVIN : UN BILAN POSIIF
Encore la galère jusqu’à Marc Bergevin. Bergevin que Serge Savard, toujours généreux, avait recommandé à Geoff Molson.
On ne peut être trop sévère avec Bergevin. Il a échangé PK Subban pour Shea Weber. Et échangé Max Pacioretty pour Nick Suzuki. Et ses choix de repêchage, après un passage à vide de dix ans, ont donné Cole Caufield et Kaiden Guhle. C’est pas de la petite bière. Avec une épopée en pleine Covid jusqu’en finale de la Coupe Stanley.
Mais 27 ans de misère, c’était assez. Gary Bettman a recommandé à Geoff Molson d’embaucher Jeff Gorton. Molson a eu la décence de vouloir un directeur général qui parlait français et lui et Gorton sont allés chercher un agent de joueurs, Kent Hughes.
Gorton a servi de mentor, Hughes a été le négociateur et la reconstruction s’est enfin mise en marche.

Photo: HabsWorld.net – Geoff Molson
Les joueurs, les médias et surtout les fans ont embarqué à fond dans la vision des dirigeants du CH. Rappelez-vous…pas de mot commençant par P pour playoffs, le mix de Geoff Molson…
Et là, on y est. Après trente ans. L’équipe la plus jeune de la ligue. La plus canadienne aussi avec plus de 65 p,cent de joueurs nés au Canada. La plus talentueuse sans doute.
Normalement, on devrait couvrir une parade en juin 2027. Dans des rues défoncées et sales.
Mais ça va être une maudite belle parade quand même.
Trente ans, ça se fête.