J’ai regardé deux fois l’excellent documentaire Qui a tué les Expos? Hier, c’était le film classé au deuxième rang au Canada sur Netflix. Et c’est un classement mérité.
Jean-François Poisson, le concepteur et le réalisateur, a fait un travail colossal. Il faut bien connaître le métier pour savoir dépister toutes les trouvailles de l’œuvre.
Ceux qui étaient là quand les Expos sont partis vont avoir le cœur gros. Je pense à Jérémy Filosa, un fan absolu des Amours dans sa prime jeunesse, qu’on interviewe longuement pour lui permettre de revenir sur cette perte catastrophique pour Montréal.

Photo: CBC – Les Expos de Montréal
Dans son analyse, on sent l’amour blessé. Et c’est émouvant.
Jeff Blair, l’ancien de The Gazette, et Alexandre Pratt de La Presse servent de fil conducteur tout au long du documentaire qui fait plus d’une heure et demie. Pratt est un excellent choix. Dès son arrivée à La Presse, on lui a offert de couvrir les Expos. Et je me rappelle que dans ses premières armes au journal, il était déjà un historien assidu du baseball. Il n’a jamais eu l’arrogance de Blair et il passe mieux dans le documentaire. Il sait basculer de l’émotion à la raison dans la même réponse et ça aide le téléspectateur à mieux doser sa perception.
LUCIEN BOUCHARD A JOUÉ DÛR
J’ai moi-même vécu à peu près toutes les aventures de cet exode des Expos. C’est à Hypoluxo en Floride au début d’avril 1995 que Claude Brochu a ordonné à Kevin Malone de détruire l’équipe. À 11 heures le matin, Philippe Cantin, Serge Touchette et une demi-douzaine de journalistes québécois avaient appris que John Wetteland, le brillant releveur des Z’Amours était échangé.
Le massacre s’est poursuivi tout l’après-midi avec Ken Hill et Marquis Grissom. Et un quatrième joueur avait déjà été échangé plus tôt. Larry Walker, futur membre du Temple de la Renommée. C’était insensé. Comme si le Canadien échangeait dans la même journée Nick Suzuki, Lane Hutson, Cole Caufield et Ivan Demidov.

Photo: CTV News – Lucien Bouchard
La grève de 1994 a donné un coup de poignard à l’équipe. Mais ça n’explique pas la suite.
Claude Brochu était le commandité d’une dizaine d’hommes d’affaires représentant pour certains des organismes para-syndicaux ou d’investissements.
L’économie canadienne qui était très semblable à l’économie américaine dans les années 80 a commencé à s’essouffler et le dollar canadien à s’effondrer. En 1976, les joueurs des Expos exigeaient d’être payés en dollars canadiens parce que la devise locale valait plus que l’américaine.
Claude Brochu et les Québécois ont commencé à tirer de la langue. Finalement, c’est un vendeur d’art du New Jersey qui a investi une vingtaine de millions pour acquérir 24 p.cent des Expos.

Photo: Sportsnet – La fameuse grève de 1994…
C’était donner la main au diable. Avec une série de « cash calls », Loria a pris le contrôle de l’organisation en dévaluant la part des Québécois qui consacraient plus d’énergie à se chicaner et à se détruire qu’à œuvrer de concert pour sauver les Z’Amours.
Claude Brochu se fiait sur Lucien Bouchard pour aider à la construction d’un nouveau stade mais Bouchard imposait une période de resserrement des dépenses publiques pendant tout ce temps. L’austérité ne permettait pas compatible avec semblable investissement dans un vulgaire stade de sport. La Maison symphonique, construite par le gouvernement pour l’élite de la grande musique, était plus noble que le baseball.

Photo: Financial Post – Claude Brochu
DAVID SAMSON…PETIT TRÔT
David Samson, affectueusement appelé Petit trot, fendant et baveux à souhait quand il était dans la vingtaine, est encore aussi arrogant 20 ans plus tard. Mais il n’a pas tort quand il se défend.
Jeffrey Loria n’en avait rien à cirer de Montréal et des Québécois. Ce qu’il voulait, c’était mettre les pieds dans le club de 30 propriétaires qui contrôlent le baseball. Il a réussi et les Québécois étaient trop divisés et trop pauvres pour lutter efficacement.
Je n’ai jamais oublié que la veille de la conférence de presse annonçant l’arrivée de Loria et Samson, leur firme de relations publiques m’avait invité au Reine Élisabeth dans une superbe suite pour un tête à tête avec Loria et Samson. Pas parce que j’étais beau et gentil. Parce que j’étais le columnist de La Presse et qu’ils espéraient que je crée une tendance favorable le lendemain matin.
Je n’ai pas oublié non plus une soirée à West Palm Beach. Jeffrey Loria tenait un barbecue dans la ligne du champ droit avec ses invités. Tous les actionnaires québécois mangeaient des hotdogs dans les gradins…parce qu’ils n’avaient pas été invités.

Photo: MLB.com – David Samson
J’avais dit à Raynald Brière, président de Télémédia à l’époque que le mariage ne durerait pas longtemps. Il avait souri et acquiescé.
On avait raison.
Dernière anecdote. J’étais à Lake Tahoe en moto encore avec Brière et les gars de la bande, quand Tony Tavares s’était retrouvé à notre table. Il fut le dernier président des Expos, a présidé à leur déménagement à Washington…et fut aussi l’ancien patron de Pierre Gauthier avec les Ducks d’Anaheim.
J’avais le goût de pleurer en l’écoutant raconter les histoires de la mort des Expos…et de brailler de rire quand il imitait Pierre
Gautier dans les bureaux des Ducks
Qui a tué les Expos ? est un excellent documentaire. On oscille entre les grosses émotions et les leçons bien racontées d’une triste histoire de faillite.
La faillite, elle est de nous. Pas des autres.

Photo: Yahoo Sports – Jeffrey Loria
LES NORDIQUES DU COLORADO
J’ai vu les images des Nordiques du Colorado qui vont jouer sept fois pendant la saison 2025-26. Ces Nordiques sont évidemment l’Avalanche et ne sont pas revenus à Québec.
C’est un rappel d’une belle équipe qui a déménagé il y a trente ans dans un état dynamique…qui avait déjà accueilli et perdu les Rockies du Colorado.
Comme quoi, faut jamais désespérer.
Je sais que ces chandails vont raviver des peines. Et qu’on les ressort pour vendre des produits nouveaux. Mais on s’en fout. Ce bleu était magnifique, ces fleurs de lys merveilleuses et tout ça rappelle que les Québécois ont déjà vu grand…et qu’ils ont été assez forts pour jouer dans la cour des grands.
Tout change dans la vie. C’est la plus grande des lois.

Photo: IG – Cale Makar
Il faut arriver à concilier l’eau de la rivière qui n’est jamais la même…et qui pourtant demeure toujours de l’eau.