Photo : Vincent Ethier – Steve Claggett : un « Dragon » avec une éthique de travail de « Samouraï ».
Le combat final se termine au Casino de Montréal. Au soir du 14 novembre, Steve Claggett, alias le « Dragon », vient de l’emporter par décision unanime après une guerre explosive, mais décisive, de 10 rounds face au Californien Miguel Madueno. La foule l’acclame et l’annonceur Patrick Lono lui tend le micro.
« J’adore Montréal, it’s my favourite city to fight in, I just love it here. Merci à tous, merci à vous… à mes amis, all my friends here, I love you guys and I could not do it without you, so thank you… thank you so much! », lance l’Albertain, dont l’usage du français rendrait bien fier le demi défensif des Alouettes de Montréal Marc-Antoine Dequoy… et sans doute plus envieux les amateurs du club de hockey de la même ville.
Ceux qui la connaissent diront que l’histoire du « Dragon » a des airs de scénario hollywoodien. La scène est parfaite, mais le scripte est toujours incomplet. « Le but ultime est un championnat du monde. C’est ce que je veux. C’est pourquoi j’ai travaillé toute ma vie et je n’arrêterais pas jusqu’à ce que j’y arrive », ajoute-t-il, en concluant une soirée de travail qui le fera passer du 15e au 8e rang dans le classement mondial.
Mais comme le dit un proverbe africain : « pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient ». Alors pour comprendre le chemin parcouru par le boxeur droitier, un retour dans le temps s’impose.
De la glace au ring
Quelques semaines plus tôt, le « Dragon » atterrissait à Montréal pour entamer la phase ultime de sa préparation pour son éventuelle victoire contre « Explosivo » Madueno. À l’aube d’un entraînement, c’est à l’Annexe de l’Underdog Gym que Punching Grace l’a rencontré. En passant par l’escalier arrière de l’immeuble se trouvant sur le boulevard Henri-Bourassa, on arrive au 2e étage. À gauche : ladite salle de boxe. À droite : une large fenêtre offrant une vue panoramique sur la patinoire de l’étage inférieur. Ce clash n’a rien d’étranger à Stephen James Claggett, lui dont l’histoire en boxe a débuté à l’âge 13 ans, en plein cœur de la Crowchild Twin Arena de Calgary.
« J’étais un enfant plutôt agressif […]. Je me battais toujours, à l’école, dans mon quartier, au hockey. Une fois, j’allais me battre, mais j’ai glissé en marchant sur mon bâton, alors le gars m’a frappé plusieurs fois sans que je ne puisse rien faire. Il m’a eu comme on dit. Après ça, je me suis fait expulser du match et j’étais si en colère… Mes parents le savaient, tellement qu’en rentrant de l’école, le lendemain, ma mère m’attendait avec un papier et m’annonçait : ‘je t’ai inscrit à des cours de boxe pour que tu puisses te calmer sans vouloir te battre ailleurs’ », se souvient-il.
Enivrante violence
Faisant son entrée au Teofista Boxing Gym, il y trouva une passion, mais aussi une réponse à ses problèmes. « Dès mon premier entraînement, j’ai adoré. Pour moi, c’était la meilleure façon de gérer ma colère, je pouvais y mettre toute mon énergie. » Peu de temps après, la même année, il disputa un premier combat amateur. Si les premiers éclats de violence du ring font reculer certains, ce fut tout le contraire pour Steve Claggett.
« Je me rappelle, j’allais là en pensant que ça allait être comme en sparring, mais mon adversaire, lui, il était venu pour se battre. Je me déplaçais, je lançais des jabs et BOOM, il m’a frappé avec une droite en plein sur le nez… Je me suis mis à saigner tout de suite et j’ai entendu ses amis dans la foule dire ‘K.-O. au premier round!’. Là, je me suis fâché, j’ai arrêté de penser à ma technique et j’ai commencé à me battre . Je suis revenu dans le combat et je l’ai battu. », raconte-t-il.
« Après le combat, j’avais mal au nez, à la tête, j’avais mal partout en fait et pourtant, ça en valait la peine, j’avais gagné et je ne m’étais jamais aussi bien senti de ma vie », témoigne-t-il ensuite, quant au déclic où il décida de devenir boxeur.
Sorti d’eaux troubles
Mettant de l’essence sur la flamme déjà bien existante du futur « Dragon », ce combat fut le premier d’une longue série, le menant à quatre conquêtes du championnat provincial et trois triomphes aux gants dorés. Malgré ces succès, les problèmes refont surface et rattrapent Claggett à l’âge adulte.
« Mes parents m’ont dit : ‘tu ne pourras pas rester ici si tu continues comme ça’. Ils ne m’ont pas mis à la porte, au final, je suis juste parti », précise celui qui s’est par la suite installé chez des amis à l’âge de 18 ans.
Plus tôt cette année-là, il avait reçu une offre de Milan Lubovac pour passer dans les rangs payants, en Alberta, avec KO Boxing. Ne l’acceptant pas tout de suite, il laissa l’offre planer jusqu’à ce que… : « Je me suis fait arrêter deux fois dans la même semaine et c’est là que je me suis dit que je devais me dédier à la boxe », raconte-t-il avec transparence.
C’est ainsi que, tout comme la boxe amateur, l’avait fait à l’adolescence, la boxe professionnelle le remis dans le droit chemin à l’âge adulte. C’est donc à l’âge de 19 ans qu’il accepta finalement l’offre de Lubovac et effectua ses débuts le 12 septembre 2008 à Edmonton, où il l’emporta par décision sur Brandon Carlick.
La naissance du Dragon
Fort de ses quelques premières victoires, au tournant de 2009, Claggett se rend en Californie pour effectuer un pèlerinage des gyms de boxe du coin avec des amis. Lors d’une journée de repos, se promenant en voiture dans la Cité des Anges, l’un de ceux-ci tombe des nues en apprenant que le Calgarien n’a toujours pas de surnom.
« Il m’a dit : ‘tu dois avoir un surnom!’, alors on a passé la journée en voiture en penser à ça et il finit par me demander : ‘quelles sont tes origines?’ Je lui dis chinoises et il me répondit : ‘parfait, pourquoi pas le Dragon?’ », raconte celui qui, 15 ans plus tard, se fait toujours appeler de la sorte.
Derrière ce surnom, il y a son grand-père maternel qui est venu de Chine il y a bien des années de cela, amenant sa famille avec lui. Il n’y a toutefois pas le que surnom qu’il intègre à sa vie de boxeur, il utilise aussi la culture chinoise pour se préparer mentalement à un combat. Paisible dans le chaos, on peut souvent apercevoir le « Dragon » en pleine lecture, dans son vestiaire, avant de monter dans le ring. Sa lecture coup de cœur – et ça ne s’invente pas – est L’Art de la Guerre, de Sun Tzu…
L’adversaire ennemi
Malgré une entente le gardant relativement actif, les opportunités sont limitées pour Claggett dans l’Ouest-Canadien. Pour gagner sa vie, il doit devenir un « adversaire », celui qui accepte des combats avec – ou souvent sans – préavis pour se rendre en terres ennemies, affronter le héros local et parfois des juges favorisant ce dernier.
En 2011, il subira sa première défaite (et seule avant la limite) aux Philippines. L’histoire se répète en 2015, au Colorado, face à l’espoir de haut niveau Konstantin Ponomarov et en 2016, à Las Vegas, contre l’aspirant mondial Chris Van Heerden.
En octobre 2017, pour la première fois de sa carrière, il se retrouve en territoire hostile, et ce, même au Canada, alors qu’il s’amène avec une fiche de 24-4-1 pour affronter Junior Ulysse (14-0) au MTelus de Montréal. Largement défavorisé, Claggett profite du plus petit ring de l’amphithéâtre pour imposer son rythme et surprendre son adversaire, les pronostics de Mise-o-jeu et à peu près toute la province. Victorieux par décision unanime, il quitte l’amphithéâtre sous des huées, mais laisse une forte impression auprès des organisateurs de la soirée…
L’union fait la force
Sans pouvoir capitaliser sur cette victoire immédiatement, la trajectoire de montagnes russes se poursuit pour le « Dragon ». En mars 2018, il s’incline par décision face à l’aspirant mondial Danny O’Connor, encore sur la route, à Boston. Quatre mois plus tard, nouvelle surprise, lorsqu’il vainc cette fois l’espoir Russe Petros Ananyan, alors invaincu.
S’en suit deux combats face aux protégés d’Eye of the Tiger : un match nul face à Mathieu Germain, à Montréal, et une défaite dans un combat revanche face à Junior Ulysse, aux États-Unis. Malgré ces résultats mitigés, le promoteur montréalais voit en l’athlète originaire de Calgary une force de caractère hors du commun et surtout un énorme potentiel jusqu’alors inexploité. Les « Tigres » mettent ainsi le « Dragon » sous contrat.
« Apprends-moi »
Après une première victoire sous la bannière québécoise, la pandémie frappe. Limitée par les mesures sanitaires, l’entreprise menée par Camille Estephan doit mettre sur pied des combat locaux et décide de monter un tournoi tout canadien, le « Carré d’As », entre les Montréalais Junior Ulysse et Mathieu Germain, le Sorelois David Théroux, ainsi que le nouveau venu… Steve Claggett. Après une première victoire face à la fierté de Sorel-Tracy, Claggett obtient sa chance de venger son combat nul face à Germain au Hilton de Québec. Lors de ce second combat, c’est toutefois « G-Time » qui parvient à convaincre le juge manquant, l’emportant ainsi par décision partagée.
Cette défaite laisse un goût amer à Claggett : « Il ne m’a pas battu parce que je n’étais pas en forme ou que je n’avais pas eu assez de temps pour me préparer. Ce soir-là, il m’a vraiment battu parce qu’il a mieux boxé que moi », décrit l’athlète.
Heureusement pour lui, l’une de ses forces les plus importantes est sa résilience, et sa capacité d’apprendre de ses défaites. Ainsi, suite à sa 7e défaite – sa dernière à ce jour – il poussa l’exercice d’introspection bien plus loin qu’auparavant. « J’ai contacté l’entraîneur de Mathieu Germain, Mike [Moffa], et je lui ai dit : ‘ce que tu lui as montré contre moi, je veux que tu m’apprennes à le faire’. »
Le duo de l’heure
Fast-forward, 30 mois moins un jour après sa défaite contre Germain, en ce soir du 14 novembre, Steve Claggett porte sa fiche à 37-7-2. Son tandem avec Mike Moffa demeure parfait, avec huit victoires en autant de combats, incluant six par K.-O. À l’aube de ses 35 ans, il goûte même à un 8e gain consécutif pour la première fois de sa carrière.
« Ç’a toujours été quelqu’un qui a fait les choses à sa manière. Je m’en suis aperçu quand il est arrivé ici, mais moi, c’est ma manière ou la porte est là… J’ai toujours travaillé comme ça et je crois que Steve a compris que ma manière, c’était la bonne manière », explique Moffa.
« C’est un gars très sérieux, il ne triche pas. Ce n’est pas juste qu’un gars en forme qui met de la pression, il est plus que ça. Il est talentueux, athlétique… pour moi, c’est juste qu’il n’a pas appris la bonne technique et les bons mouvements. ‘C’est-tu trop tard’, à 34 ans? Non, ce n’est pas trop tard, parce que chaque mois, il ajoute des petites choses que je lui enseigne », renchérit Moffa, quant au succès de son protégé.
« Il est plus que ça »
Si Moffa mentionne le fait que son protégé est toujours en forme, c’est que c’est un peu la marque de commerce de son boxeur. Laurent Poulin, de BoxingTown Québec l’a déjà dit « il a des poumons d’acier, ou bien trois poumons ». À titre indicatif, le « cadeau » d’anniversaire bien spécial que « Dragon » s’est déjà offert à lui-même.
« Il y a quelques années, je suis arrivé à l’entraînement le jour de ma fête et j’ai décidé de sparrer 15 rounds, juste comme ça, pour me prouver à moi-même que je pouvais le faire… et je l’ai fait, en passant presque un par un les gars du gym », raconte-t-il avec un sourire presque nostalgique.
Mais ne vous méprenez pas, le cardio n’est qu’un outil dans son coffre, ‘‘he’s got skills’’, comme le dit son entraîneur, ou encore mieux, pour citer son promoteur, Camille Estephan, « c’est un samouraï », aiguisant et affinant chacune de ses armes.
Tous à bord
Éternel élève du sport, Claggett s’inspire des plus grands. Il amène un peu du volume de coups de « Chocolatito » Gonzalez, un peu du cardio de « Sal » Sanchez, un peu des mouvements de « Hi-Tech » Lomachenko, un peu de la hargne du légendaire « Iron » Mike Tyson et en fait un style qui lui est propre. Avec ces attributs et son large sourire, le « Dragon » de l’Ouest a conquis le cœur du pays, d’un océan à l’autre.
Longtemps, il était le seul à y croire, mais aujourd’hui, lui et sa bande de Tigres ont fait passer le mot et parte maintenant pour une conquête mondiale. « Pendant si longtemps, j’avais l’impression de nager seul en mer. Aujourd’hui, je me sens à bord d’un grand navire », témoigne-t-il avec reconnaissance.
Oui, l’histoire reste à écrire, car comme l’assure Claggett, « le meilleur reste à venir », alors en attendant une conclusion pour amener son histoire au grand écran, on peut la voir en temps réel, au petit écran, retransmit de Punchinggrace.com vers TVA Sports ou ESPN+ aux États-Unis. Avant, pendant et après chaque combat, le téléspectateur peut y voir une foule acclamant le « Dragon ». Cette foule qui le huait il y a quelques années, qui l’acclame aujourd’hui et qui en redemande demain… tout comme le principal intéressé.
« Quand les gens étaient contre moi, j’utilisais ça comme motivation, pour prouver un point… mais se faire applaudir et avoir les gens de son côté, réellement, c’est tellement mieux! » achève le fils de la cité du Stempede, brillant plus que jamais dans la métropole québécoise.