Photo: Melina Pizano/Matchroom Boxing – «La Scène», par Bam Rodriguez.
À environ douze ans, Jesse ‘Bam’ Rodriguez se souvient avoir vu Juan Francisco Estrada affronter Chocolatito Gonzalez pour la première fois, en 2012.
En 2024, voir des combattants de leur taille être l’attraction principale d’un événement américain majeur est encore remarquable, mais ce n’est certainement pas autant inhabituel.
L’époque dans laquelle Bam a grandi, il n’y a pas si longtemps, était très différente. Pour voir Estrada et Chocolatito s’affronter, Bam a dû s’abonner à WealthTV, un réseau de télévision ciblant un public au mode de vie aisé – et celui en rêvant – qui avait décidé de se lancer dans le monde de la boxe, pendant quelques années. En d’autres termes, il fallait quand même «aller chercher» ces combats, même s’ils impliquaient les combattants les plus talentueux de la planète.
Alors que le monde de la boxe acceptait les combattants des catégories de poids plus légères, Bam lui-même était en train de déterminer sa place dans le monde du sport. À l’école primaire, il a joué au football aux côtés de Ricky Medina, qui deviendra également un jour un combattant professionnel. Aussi rapides que soient les pieds de Bam, et même s’il appréciait le côté physique du sport, la génétique n’allait pas suffisamment jouer en sa faveur pour le faire entrer dans la NFL. Au lieu de cela, avec son frère [et ancien champion du monde] Joshua Franco, il s’est tourné vers la boxe. Ce sport où la taille serait toujours relative grâce à l’existence des catégories de poids…
Ce qu’il a vite découvert, en même temps que son entraîneur, Robert Garcia, c’est que par rapport aux combattants de sa propre taille, il existe peu d’hommes sur la planète plus dynamiques et plus destructeurs.
En fait, lorsque Garcia a vu Rodriguez détruire un de ses meilleurs boxeurs amateurs, raconte l’histoire, une ampoule s’est allumée dans sa tête. Non seulement Rodriguez avait exactement le style et l’état d’esprit qui lui conviendraient en tant qu’entraîneur, mais grâce à ses relations avec Teiken Promotions, au Japon, pour qui il s’est autrefois battu, il pourrait aider Rodriguez à gravir les échelons avec ou sans l’aide du marché américain.
Au cours des deux dernières années et demie, Rodriguez a connu une ascension fulgurante dans les rangs professionnels. Même le marché américain a fini par y passer.
Il est d’abord monté de deux catégories de poids, en remplacement, pour surprendre Carlos Cuadras, l’un des «Quatre Rois» de la division de la catégorie super-mouche, celle qu’il regardait en grandissant.
Puis, il fit de même avec Srisaket Sor Rungvisai et éventuellement, ce fut autour de Sunny Edwards. Ce dernier, considéré comme l’un des meilleurs boxeurs défensifs au monde, reçut 60% des coups de puissance tentés par Bam et se fit arrêter en 9 rounds…
Le plan a finalement été pleinement exécuté samedi dernier, et ce, de manière assez surréaliste. Douze ans après avoir regardé Gonzalez-Estrada à la télévision, Bam Rodriguez a arrêté Juan Francisco Estrada pour devenir le véritable champion des poids super-mouches.
En termes de «passation du flambeau», c’était parfait. C’était comme dans un film, pourtant, personne à Hollywood n’aurait mieux fait que Bam Rodriguez.
Estrada, champion en titre de longue date et très certainement futur membre du Temple de la renommée, n’était peut-être pas la version de lui-même qui a combattu Chocolatito en 2012, mais c’était une version de lui-même qui aurait vaincu presque n’importe quel autre 115 livres dans le monde.
Avant le combat, Estrada a expliqué que les victoires de Rodriguez avaient peut-être été exagérées et que son opposition était en déclin, insistant sur le fait que ce n’était pas le cas.
Cette nuit-là, Estrada devait donc se battre contre ses perceptions, son propre déclin, et son possible successeur.
Et il s’est battu, il l’a fait. Même lorsque Rodriguez l’a frappé en début de combat, jusqu’à l’envoyer au plancher au quatrième round, Estrada tentait toujours de faire des ajustements, de changer d’angle, de distance, tout ça pour tenter d’attirer Rodriguez dans la contre-attaque qui serait la bonne…
Au cinquième round, il a trouvé le coup qu’il cherchait, celui qui sera peut-être son dernier grand moment à l’intérieur d’un ring. Estrada s’est avancé à l’extérieur du pied avant de son adversaire et a décoché une main droite qui a mis Rodriguez au sol pour la première fois de sa carrière.
Le Footprint Center de Phoenix qui abritait le combat tremblait à tout rompre lorsque Rodriguez a touché le tapis. La foule d’inconditionnels amateurs de boxe – principalement mexicains – penchait du côté d’Estrada et, le temps d’un instant, a obtenue ce qu’elle attendait.
À cet instant précis, la montée d’émotion de chacun autour de l’arène était palpable. En quelques secondes, toutes les têtes se sont remplies des mêmes questions.
Rodriguez n’était-il pas aussi bon que nous le pensions? Estrada était-il simplement trop bon? Si excellent qu’il pourrait battre un autre excellent boxeur, même «à l’automne» de sa carrière?
Ces pensées ne sont certainement pas entrées dans l’esprit de Rodriguez. Il s’est relevé. En fait, avant même qu’il ne touche au tapis, il avait un sourire sur son visage, et un rire pouvant être détecté même au milieu du plus grand des vacarmes.
Après ça, «ça» étant sa chute, Rodriguez a dominé le reste du round. D’un coup à l’autre, et il en lançait beaucoup, il reprenait l’espoir des fans d’Estrada presque aussi rapidement qu’il le leur avait donné.
Après le combat, Rodriguez a déclaré à Chris Mannix de DAZN qu’il avait toujours voulu se faire envoyer au tapis «pour voir ce que ça faisait». Cela semble certainement absurde, voire masochiste, d’entendre quelqu’un dire qu’il veut être frappé pour en chuter.
Mais, ce n’est quand même pas si fou.
C’est comme un joueur de hockey qui rêve de marquer le but vainqueur de la Coupe Stanley. Le but est de gagner aisément, en 4 matchs… mais le rêve est revenir de l’arrière pour l’emporter ardemment lors du 7e.
Sur la plus grande scène, Rodriguez rêvait de surmonter l’adversité.
Deux rounds plus tard, c’est ce qui s’est produit. Rodriguez a lancé une gauche au corps qui a fait rouler Estrada au sol en se tordant de douleur pendant un compte de dix.
Le plan de match a même été exécuté à l’aide de Chocolatito lui-même qui a servi de partenaire d’entraînement à Bam pendant quelques séances d’entraînement. Le plan de carrière s’est ainsi concrétisé, juste comme ça, comme au cinéma.