Photo : Vincent Ethier — Stéphane Joanisse et Vanessa Lepage-Joanisse, dans l’émotion du moment de la conquête du championnat mondial WBC des poids lourds de ‘Vany’.
C’était il y a 8 ans, mais Stéphane Joanisse s’en rappelle comme si c’était hier. Il était assis au bar, à Sorel-Tracy, après la pesée d’un combat de Pascal Villeneuve. En discutant avec Stéphane Larouche et Pierre Bouchard, il lance:
«Je ne sais pas où exactement, mais j’ai le feeling que la boxe va m’amener loin.»
Des années plus tard, le 7 mars dernier, la boxe l’amenait aussi loin qu’un entraîneur peut se rendre ; à la conquête d’un championnat mondial. Ce soir-là, Vanessa Lepage-Joanisse (aucun lien de parenté) battait Abril Vidal par décision partagée pour ainsi conquérir le titre WBC de la division reine.
Transporter la boxe
Avant que la boxe ne l’amène loin, Stéphane Joanisse a fait la même chose avec son sport. Fan dès l’enfance, le natif de Cantley pratique d’abord karaté et judo en raison des craintes de ses parents par rapport à sa passion première. À 18 ans, il enfile les gants librement et devient officiellement boxeur amateur.
En parallèle, il joint les forces de l’ordre et les rangs de la Sûreté du Québec (SQ), où vocation et passion s’entrecroisent une première fois, alors qu’il participe aux Mondiaux policiers de 2005. En revanche, le manque de stabilité géographique lié à son travail finit par avoir raison de sa carrière de boxeur amateur.
Mais, de là naîtra celle d’homme de coin.
Lorsqu’il obtient un poste sur la Côte-Nord, le tout débute…
«C’était à Schefferville, où tu peux juste te rendre en train. En partant, je me rappelle avoir dit à ma femme : ‘tant qu’à être isolé là deux ans, je vais coacher et redonner ma passion de boxe», explique-t-il, rencontré au Club de boxe BG de Buckingham.
C’est là qu’il entraîne aujourd’hui, à près de 1 200 kilomètres d’où il avait commencé.
Promouvoir le noble art
Au départ, son idée connaît une certaine réticence, celle «du petit blanc que personne ne connaît» qui veut apprendre aux jeunes des nations naskapie et innue à boxer, et ce, dans un secteur déjà fort criminalisé.
Heureusement, son statut de policier crédibilise son projet et les conseils de bande décident d’embarquer.
«J’ai peut-être été un peu traumatisé parce que mes parents ne voulaient pas que je boxe, lance-t-il en riant, mais ç’a toujours été mon plan de vie de promouvoir le meilleur du sport ; règles, respect, éthique de travail, implication…»
Il profite donc de ses années sur la Côte-Nord pour enseigner les plus belles valeurs du sport, mais aussi de réelles habiletés pugilistiques. À l’appui, malgré les frais de voyagement volumineux, plusieurs de ses jeunes vont jusqu’à la Coupe Québec.
Une vraie école
Après quelques années, au tournant de 2010, il rentre à la maison en ramenant son sport avec lui. À Saint-André-Avellin, le Club de boxe de la Petite-Nation voit le jour.
Là-bas, il continue de «démystifier» son sport.
«C’était encore ça, surtout dans un milieu où il y avait juste du hockey et du soccer. Je voulais montrer que la boxe était comme une école de la vie, que ceux qui entraient au gym pouvaient être de meilleures personnes au moment d’en ressortir.»
«J’ai toujours pensé que d’entraîner des jeunes, ça venait avec une responsabilité. N’importe qui peut entrer et taper sur un sac et apprendre la boxe, mais je suis de ceux qui pense que la boxe peut aussi t’apprendre beaucoup», vient-il prêcher.
La double pause
Un des meilleurs exemples de cette philosophie est bien évidemment celui de Vanessa Lepage Joanisse. Elle qui a «grandi» au Club de boxe de la Petite-Nation : de débutante, en 2011, à aspirante au titre mondial, en 2017.
Après ça, lorsqu’elle décide de quitter le monde de la boxe, un concours de circonstances amène son entraîneur à faire de même, quelques mois plus tard.
«C’était plusieurs choses, j’avais mis tellement d’énergie là-dedans, et je ne le regrette pas, mais avec ma famille, mon travail, j’avais besoin de m’investir ailleurs», indique celui qui, tout comme ‘VLJ’, ne quittait que pour mieux revenir…
L’appel de Gaumont
Tout cela nous amène en pleine pandémie, au croisement de 2020-2021, quand Stéphane Joanisse croit sa vie d’entraîneur derrière lui. C’est alors que son bon ami et – jusque-là – ex-confrère Marcellin Gaumont l’appelle.
«Il me dit : ‘Steph, Alex [Gaumont] veut passer pro’, mais on ne va pas y aller si tu n’embarques pas’… Finalement, je me suis dit : ‘je suis qui, moi, pour empêcher le kid de vivre son rêve?»
Stéphane Joanisse était de retour. Et ça, ce n’était que le début.
Revoilà Vanessa
Alexandre Gaumont progresse vite et impressionne, tellement que promoteur Eye of the Tiger le met sous contrat. Pendant ce temps, en pleine bulle pandémique, un visage familier apparaît au BG : Vanessa Lepage-Joanisse.
«Elle est venue une première fois, on sait l’histoire, avec le poids qu’elle avait pris. Je sentais qu’elle essayait de se convaincre elle-même… et ça n’a pas marché. C’est plus tard, quand elle est revenue, mais en ayant fait son bout de chemin. Elle avait perdu presque 50 livres et là elle y croyait!»
Une fois prête à se battre, EOTTM ne fut ensuite pas dure à convaincre.
«J’étais au Casino, dans le coin d’Alex. Après le combat, Camille [Estephan] est venu me parler de la remise en forme de Vanessa. Je lui ai dit presque en niaisant qu’on attendait juste qu’il nous fasse une offre et il m’a répondu : ‘Ah oui? Parfait!’. Le soir même, Marc Ramsay nous offrait un contrat.»
Le reste appartient à l’histoire.
Le prochain chapitre
Mais maintenant cette histoire accomplie, qu’elle est la suite pour Stéphane Joanisse?
«Qu’est-ce que tu peux faire de plus? Pas juste de gagner le titre, mais de l’avoir fait en partant de zéro avec un athlète. Juste au Québec, appart Marc Ramsay avec Jean Pascal, très peu de coachs l’ont fait», affirme-t-il avec fierté.
Cette fierté ne l’empêchera toutefois pas d’accomplir davantage. À court terme, Gaumont (9-0, 6 K.-O.) est en pleine ascension, visant une 10e victoire, le 25 mai, à Shawinigan. ‘Vany’ (7-1, 2 K.-O.), elle, visera de nouveaux sommets à l’approche de l’automne, reste à savoir contre qui.
Car un titre mondial, c’est comme un verre de lait. Un c’est bien, mais deux c’est mieux. Le sommet de la WBC est conquis, mais il existe aussi celui de l’IBF. À ce chapitre, l’Océanienne Lani Daniels est reine et maître, autant chez les lourds que mi-lourds.
«C’est clair qu’elle serait notre premier choix… mais on laisse ça entre les mains de Camille», achève Stéphane Joanisse, déjà bien occupé à être une fois policier, deux fois homme de coin, mais encore, trois fois père de famille.
LA SÉRIE COMPLÈTE
HOMME DE COIN, PARTIE I : LES 12 TRAVAUX DE MARC RAMSAY
HOMME DE COIN, PARTIE II : LA MÉTHODE «MIKE MOFFA»
HOMME DE COIN, PARTIE III : SAMUEL DÉCARIE-DROLET, L’ENSEIGNANT DE BOXE
HOMME DE COIN, PARTIE IV : L’ASCENSION DE JESSY ROSS THOMPSON