Compte tenu de sa performance contre Canelo Alvarez le 13 septembre dernier, Terence Crawford pourrait bien être reconnu comme le boxeur le plus complet toutes catégories confondues.
D’ailleurs, les commentaires d’après match de Canelo allaient dans ce sens: «Je n’ai pas réussi à décrypter son style… Tout m’a posé problème. Il a tout.»
Crawford possède un énorme coffre à outils. Or, deux facteurs de performance me paraissent se démarquer de tous les autres. Il y a d’abord le fait que Crawford soit un parfait ambidextre, mais aussi qu’il possède un «timing» hors du commun.
Je compte réserver l’élément ambidextre pour un prochain article. Aujourd’hui, je vais me concentrer sur ce qu’est le «timing». Crawford me donne l’opportunité d’analyser cette habileté de façon plus détaillée que je ne l’aie fait jusqu’à maintenant.

Photo: Yahoo Sports – Terence Crawford vs Canelo Alvarez
À la toute fin, je suggérerai une manière d’améliorer le «timing». Contrairement à l’opinion de plusieurs entraîneurs, je suis persuadé que cette habileté peut être considérablement améliorée par l’entraînement. Mais pour y arriver, il faut en tout premier lieu éviter de restreindre le sens de ce mot.
NE PAS CONFONDRE «TIMING» ET CONTRE-ATTAQUE
Lors d’un combat, un boxeur peut exécuter ses contre-attaques avec une technique impeccable, mais sans obtenir les résultats escomptés. Par ailleurs, il se peut que son adversaire moins doué techniquement parvienne à contre-attaquer avec plus de succès grâce à un meilleur «timing».
La confusion entre «timing» et contre-attaque provient probablement du fait que ces deux facteurs de performance se produisent souvent de façon simultanée. Mais pour ce qui est de Terence Crawford, il est clair que le «timing» va bien au-delà de la contre-attaque. En fait, cette habileté émerge de la plupart des manœuvres qu’il utilise sur le ring.

Photo: The Ring Magazine – Terence Crawford vs Canelo Alvarez
Par opposition à la contre-attaque, laquelle fait partie d’un ensemble de diverses manœuvres techniques, le «timing» pour sa part réfère plutôt au moment le plus approprié pour exécuter chacune de ces manœuvres. Dans ce dernier cas, il est davantage question d’anticipation que de technique.
Mais ici le mot «anticipation» ne doit pas être interprété comme s’il s’agissait de deviner ce que fera l’adversaire. Loin de là, le «timing» suppose que le boxeur détecte et utilise différents indices l’amenant à agir et réagir au moment précis où l’opposant est le plus vulnérable.
En défensive par exemple, le «timing» consiste à prendre en compte la trajectoire et le rythme que l’adversaire utilise en lançant ses coups de poing. Pour ce qui est de Terence Crawford, sa lecture de l’adversaire précède systématiquement les moments où il se défend, réplique ou initie l’attaque. Dans certaines situations, elle sera même concomitante.

Photo: MARCA – Terence Crawford vs Canelo Alvarez
Le «timing» se développe surtout lors des sparrings. Cette aptitude n’est pas simple à enseigner. Néanmoins, comme c’est le cas des habiletés motrices, il est possible d’améliorer efficacement le «timing» en suivant une certaine progression. Je suggère par conséquent aux boxeurs novices d’en débuter l’apprentissage en exécutant le moyen de défense le plus simple et sécuritaire à la fois.
BLOQUER TOUT EN ROULANT LES COUPS DE POING DE L’ADVERSAIRE
Pour mieux saisir la compréhension du «timing», utilisons d’abord l’exemple du jeune joueur de basketball dont l’objectif est de saisir le ballon au vol. Pour être efficace, ce jeune joueur doit parvenir à anticiper le bon moment pour s’élancer. Il doit sauter ni trop tôt ni trop tard.
Si l’on veut se rapprocher un peu plus de l’habileté à bloquer et rouler un coup de poing, il y a l’analogie du jeune joueur de baseball lorsqu’il apprend à attraper la balle. Il doit alors s’ajuster à la trajectoire de celle-ci, souvent en effectuant un léger mouvement de recul de la main pour favoriser une certaine absorption de l’impact.
Le jeune joueur de baseball apprend ainsi à développer son «timing» en vue d’optimiser le contrôle de la balle, peu importe la vitesse et la trajectoire de celle-ci. Mais pour plus d’efficacité sur le plan pédagogique, cet apprentissage devra être graduel.

Photo: The New York Times – Terence Crawford vs David Avanesyan
Il en est de même pour ce qui est du blocage en boxe. Le novice commencera habituellement par former avec ses bras une sorte de bouclier. Puis l’entraîneur lui recommandera comme seconde étape de déplacer le poids de son corps dans le but d’effectuer un mouvement de recul par rapport au coup de poing de l’adversaire.
Au début de son apprentissage de la défensive, le boxeur doit éviter de déplacer le poids de son corps dans la direction d’un coup de poing venant en sens contraire. Évitons les collisions frontales! Elles sont responsables de tellement de KO chez les novices.
Le mouvement de recul du poids du corps et de la garde par rapport au coup de poing de l’adversaire doit être effectué, ni trop tôt ni trop tard. En fait, ce mouvement doit plutôt accompagner le coup de poing adverse (roll with the punch).
Le «timing» réfère ici à un certain synchronisme consistant à attendre le moment approprié pour rouler le coup, soit au moment précis où l’adversaire le déclenche, ni avant ni après.

Photo: The Guardian – Terence Crawford vs Errol Spence
NE PAS CHERCHER À IMITER TROP TÔT TERENCE CRAWFORD
Le «timing» est souvent ce qui caractérise l’élite. Un bon «timing» offre notamment l’opportunité à ce boxeur de frapper directement entre deux coups de poing adverses. Une telle manœuvre est d’une grande efficacité, notamment si ce boxeur parvient dans la même séquence à dévier ou esquiver les coups de l’adversaire. Mais ceci est l’apanage des boxeurs expérimentés.
C’est ici que le principe de progression prend tout son sens. Pour ce qui est du boxeur, bloquer tout en roulant les coups d’un adversaire s’avère la meilleure façon de s’initier au «timing». Vu que la garde demeure haute tout au long de cette manœuvre, les quelques ratés d’un boxeur novice dans l’exécution du roulement ne porteront pas à conséquence. C’est le moyen de défense le plus sécuritaire.
En outre, cet apprentissage permet aux jeunes boxeurs non seulement d’expérimenter le «timing», mais aussi éventuellement de passer aisément à d’autres manœuvres de plus en plus complexes. Autrement dit, une fois automatisée, l’habileté à rouler les coups pourra être étendue à d’autres situations de combat (ex: rouler avec l’épaule, avec les coudes, et même rouler dans le but de mieux absorber ou esquiver les coups à la tête).

Photo: The New York Times – Terence Crawford
En terminant, je comprends ces jeunes novices qui tiennent à imiter les boxeurs élites tels que Terence Crawford. Ceci est certainement un objectif louable.
Mais pour atteindre un tel but, il ne suffit malheureusement pas de copier Crawford sans égard pour le chemin que celui-ci a dû parcourir pour arriver à la pleine maîtrise de son art. Il ne faut jamais oublier qu’une progression soutenue a fait nécessairement partie de son parcours.